La prime de risque

Considérez l’alternative suivante : option A, nous jouons à pile ou face avec pile, vous gagnez 200 ducats et face, vous ne gagnez rien ; option B vous gagnez 100 ducats de manière certaine. Face à ce choix, la réaction immédiate consiste à évaluer l’espérance mathématique de l’option A ; une chance sur deux de gagner 200 ducats et autant de ne rien gagner du tout ce qui nous donne une espérance de gain de 100.

$$E(A) = \frac{1}{2}200 + \frac{1}{2}0 = 100$$

On en conclue que ces deux options sont strictement équivalentes et donc, qu’un individu parfaitement rationnel devrait être incapable de choisir l’une ou l’autre.

Sauf que, dans la pratique, la plupart des gens choisissent l’option B et partent avec les 100 ducats.

L’explication, le principe de l’utilité marginale décroissante, c’est sans doute Daniel Bernoulli qui, le premier, l’a formulée de manière claire et non-ambigüe [1]. Très simplement, c’est le principe qui veut qu’un gain de 200 ducats ait beaucoup plus de valeur quand on est très pauvre que quand on est très riche ou, comme le note Bernoulli, que « tout accroissement de richesse, aussi insignifiant soit-il, résultera toujours en un accroissement d’utilité [2] qui est inversement proportionnel à la quantité de biens déjà possédés. »

Incidemment, on déduit du même principe que la fonction d’utilité d’un même individu est concave ; c’est-à-dire que quel que soit son niveau initial de richesse ($W$) et pour tout montant $d$ (avec $d \leq W$), une perte de $d$ détruit plus d’utilité que n’en génère un gain du même montant. En notant $u$, la fonction d’utilité :

$$|u(W-d)| > u(W+d)$$

En reprenant notre exemple avec la fonction d’utilité proposée par Bernoulli — $u(W) = \ln(W)$ — et en supposant un niveau de richesse initial de 1 000 ducats, on vérifie facilement que :

$$\frac{1}{2}\ln(1200) + \frac{1}{2}\ln(1000) < \ln(1100)$$

C’est-à-dire que, mesurée en terme d’utilité, l’espérance de gain de l’option A (pile ou face) est inférieure à l’utilité générée par l’option B ($\ln(1100)$) ; raison pour laquelle c’est cette option qui est choisie dans les faits [3] — on appelle ça de l’aversion au risque.

Partant, on peut estimer la prime de risque, c’est-à-dire le montant minimum qu’il faudra rajouter dans le cas où la pièce tombe côté pile pour inciter le joueur à choisir l’option A. Dans notre exemple, c’est la valeur de $\pi$ pour laquelle :

$$\frac{1}{2}\ln(1200+\pi) + \frac{1}{2}\ln(1000) = \ln(1100)$$

Vous pouvez facilement vérifier qu’avec $\pi = 10$, on arrive à satisfaire cette égalité ; c’est-à-dire qu’un individu qui, par hypothèse, réagit selon la fonction d’utilité de Bernoulli et dispose d’une fortune initial de 1 000 ducats considèrera que les options A et B sont équivalentes. De là, on conclue qu’un individu rationnel ne choisira systématiquement l’option A que si et seulement si l’espérance de gain de cette dernière est supérieure de 5% à celle de l’option B.

Généralisons : si nos fonctions d’utilité sont bien concaves (i.e. nous sommes averses au risque) et en supposant que nous agissons de façon parfaitement rationnelle, l’espérance de rendement des actifs risqués devrait toujours être supérieure au taux sans risque.

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[1] Daniel Bernoulli, Specimen theoriae novae de mensura sortis (1738).
[2] Utilité au sens économique du terme c’est-à-dire, en gros, une « quantité de bien être ».
[3] Et ce, avec d’autant plus d’intensité qu’on est pauvre.

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